Pour Yvan Leyvraz, assassiné il y a 20 ans au Nicaragua
Pour Yvan Leyvraz, assassiné il y a 20 ans au Nicaragua
Le 28 juillet 1986, à Zompopera (nord du Nicaragua), un groupe
contre-révolutionnaire assassinait trois coopérants
internationalistes, Yvan Leyvraz (Suisse), Joël Fieux (France /
Nicaragua) et Berndt Koberstein (RFA) et deux techniciens nicaraguayens.
Cette embuscade sinscrivait dans la recrudescence de la guerre
impulsée par les USA contre la révolution nicaraguayenne,
par lintermédiaire des «contras» (en bonne
partie dex-membres de la garde nationale de la dictature
somoziste renversée en 1979 par les sandinistes): depuis mai
1986, les attaques contre les coopératives, les postes de
santé, les écoles et le personnel en charge de ces
projets sintensifièrent après le vote de nouveaux
crédits à la «contra» par le Congrès
US.
Parmi les victimes de cette embuscade, Yvan Leyvraz, ouvrier du
bâtiment, né à Saint-Cergue en 1954. Arrivé
début 1983 au Nicaragua, Yvan mit ses compétences au
service du projet révolutionnaire, auquel il
sintégra totalement. En été 1983, comme
chef de chantier du pont de Guanacaste (Matagalpa), il dirigea
efficacement une main-doeuvre inexpérimentée: les
brigades de travail, formées par les comités suisses de
solidarité avec le Nicaragua.
En 1984, Yvan impulsa les «brigades ouvrières»,
composées de travailleurs de la construction, suisses et
nicaraguayens.
Lune des premières réalisations de ces brigades
fut la coopérative de Yale (attaquée par les
«contras», le 31 mai 1986). Depuis avril 1985, Yvan
dirigeait la construction de maisons dans la région de Wiwili,
puis dès mars 1986 dans celle de El Cua-Bocay. Un travail
effectué dans des conditions difficiles: en mai 1986, une
première embuscade à Zompopera coûta la vie
à trois techniciens nicaraguayens.
En février 1986, la solidarité suisse avait
déjà été endeuillée par la mort de
Maurice
Demierre (coopérant dans la région dAchuapa).
Selon les aveux dun «contra», lembuscade
tendue au camion conduit par Maurice visait le coordinateur
régional des communautés chrétiennes de base. Mais
après les réactions molles du Département
fédéral des affaires étrangères (DFAE), les
commanditaires de la «contra» semblent avoir
décidé que les internationalistes (notamment suisses)
constituaient une «cible intéressante».
En été 1986, lambassade des USA et ses relais
locaux menaient une campagne visant au retrait de laide suisse
au Nicaragua, intensifiée après la mort dYvan.
Outre les assassins, des personnalités
«respectables» ont le sang dYvan et de ses camarades
sur les mains…
Ceux et celles dentre nous qui ont connu Yvan nont pas
oublié sa personnalité attachante. Cétait
un internationaliste conséquent, un ami, un frère. A 20
ans de sa mort, le meilleur hommage que lon puisse lui rendre,
cest de suivre la consigne quil nous a donnée dans
lune de ses dernières lettres, reprenant les mots du
syndicaliste étasunien Joe Hill avant son exécution:
«Ne pleurez pas, mais luttez!» n
(membre de la brigade 1983, à Matagalpa)
« Ces étranges patriotes »
On ne se rappelle pas forcément aujourdhui que
loffensive idéologique des USA contre le sandinisme a
trouvé dans notre pays des relais très complaisants.
Le 6 mai 1986, sous la houlette de Peter Sager conseiller
national UDC et directeur de lOst-Institut, à Berne1 , une brochette de parlementaires dénonçait le «totalitarisme» sandiniste.
En voici pour rappel la nomenklature:
- Theo Fischer (PDC, Lucerne);
- Georg Stucky (radical, Zoug);
- Pascal Couchepin (radical, Valais), promu depuis lors au Conseil fédéral2
- Jacques-Simon Eggly (libéral, Genève):
démasqué lors de «laffaire des fiches»
comme membre de la P-273.
Parmi les réactions enregistrées après la mort
dYvan, il vaut la peine de rappeler une déclaration du
vice-président de lAlliance des Indépendants
(parti aujourdhui disparu): «La
prise de position du conseiller national Sager montre que les
terroristes de la contra ont des sympathisants en Suisse
aussi. Il est grotesque que des propagandistes bien payés, qui
reniflent partout la subversion étrangère, se mettent
tout à coup à plat-ventre devant une grande puissance.
LUDC déclare être un parti patriotique, mais un de
ses conseillers nationaux prêche la soumission envers les USA,
qui sont indirectement responsables de la mort dun Suisse.»
Aujourdhui, le conseiller fédéral Blocher, qui
vient de négocier des «accords anti-terroristes»
avec les USA ignore donc ladage selon lequel on ne parle pas de
corde dans la maison dun pendu… (hpr)
1 Ost-Institut: Institut détudes sur les pays de
lEst, dissous pour cause dinutilité après
limplosion dudit «camp socialiste».
2 «Pascal Couchepin, larbin de limpérialisme étatsunien», solidaritéS, no 31, 25.8.2003
3 P-27: branche politique de larmée secrète P-26,
version suisse du «Plan Gladio» de lOTAN
auquel lItalie doit la «stratégie de la
tension» des années 1970 et la Grèce 7 ans de
dictature militaire (1967-1974).
Bibliographie
- Amérique centrale solidarité / Comités
Nicaragua-El Salvador. Nos 27 à 29 (juillet-décembre 1986) - Joël Fieux, Paroles et écrits. Lyon, Atelier de création libertaire, 1987
- Correos de Centroamérica: éd. francaise. No 39 (février 1996)
- Nicaragua 1986: laventure internationaliste de Maurice, Yvan, Joël et Berndt. Genève, CETIM, 1996
- Thomas Kadelbach, Les brigadistes suisses au Nicaragua
(1982-1990). Fribourg, Université, 2006 (Aux sources du temps
présent; 15) - William Grigsby Vado, «Le Nicaragua 25 ans après la
victoire sandiniste», solidaritéS, No 49, 25.8.2004